Maudit Maudrian

Maudit Maudrian mondrian

 

 

 

 

Composition avec jaune et bleu, Mondrian (1932)

Il est remarquable que le dégoût de Gomez pour la peinture et sa nostalgie des couleurs du réel, dans Les Chemins de la liberté,  se trouvent réactivés par une peinture où la simplicité géométrique et les couleurs primaires dominent ; c’est comme une antimatière abstraite face à la matière concrète des choses, presque un langage formel qui s’invite à l’intérieur d’un art qui se devrait d’être plastique. Il est implicitement reproché à la peinture de Mondrian de dénaturer l’explosante réalité de la vie en la réduisant aux lignes horizontales ou verticales des buildings américains ; c’est une peinture à angles droits qui vise à rassurer la population américaine sur sa droiture morale : « aux murs blancs de cette clinique : de la peinture stérilisée dans une salle climatisée ; rien de suspect ; on était à l’abri des microbes et des passions »[1]. Ritchie, son guide local, symbolise à lui seul le fameux « american dream » : « C’est séraphique, dit-il avec extase. Nous autres Américains, nous voulons de la peinture pour gens heureux ou qui essaient de l’être »[2]. Est-il utile de rappeler que la constitution américaine institue le bonheur comme un droit sacré et inaliénable, presque un devoir, que Sartre-Roquentin-Gomez ne manque pas ici d’écorcher[3]?

Il suffira d’un coup d’œil sur n’importe quelle toile de Mondrian (surnommé Maudrian par Sartre dans la première édition), – celle visée dans ce passage correspond visiblement à la « Composition en jaune et bleu » de 1933-, pour se faire une idée générale de l’artiste, tant le message est clair et tant l’œuvre du peintre fait appel à la répétition du même : « Je les ai assez vus ; je connais Mondrian par cœur, je pourrai toujours torcher un article » s’impatiente Gomez, double artistique de Roquentin, le profanateur de tombes picturales. Ce texte est donc pour Sartre un moyen de critiquer le caractère purement symbolique d’une peinture abstraite, qui prétendrait établir des significations au-delà de la toile et concurrencer la prose littéraire : comme il le précisera plus tard dans Qu’est-ce que la Littérature ?, le peintre ne veut et ne doit rien dire d’autre que ce qu’il montre.


[1] CL p. 1156

[2] CL p. 1158

[3] Ritchie représente l’américain moyen, comme Sartre le confie quelques années plus tard à Michel Contat : « C’est un personnage d’Américain type que je me suis amusé à faire. J’ai voulu faire une caricature : il est vu par Gomez. Mais dans un sens il n’est pas tellement caricatural » (OR, note 2 p. 2050) . D’ailleurs, Sartre fait référence à sa généalogie familiale pour mieux le situer dans l’histoire de ses ancêtres : « ses arrières-grands parents, qui étaient aussi des anges, avaient brûlé des sorciers sur les places de Boston » (CL p. 1160 ; possible allusion à l’histoire des sorcières de Salem que Sartre reprendra pour un scenario de film).

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