Idole ou icône ?
Pour comprendre ce qu’est un image, il faut revenir sur la distinction essentielle entre idole et icône. Il y a une ambiguïté sémantique de l’image qui peut se diviser en idole ou en icône.
L’icône n’est que le moyen d’autre chose, elle n’est pas à elle-même sa propre fin. Elle indique toujours en creux autre chose qu’elle-même qui se donne comme présent à travers elle. Elle est toujours traversée par une intentionnalité vers un au-delà d’elle-même, c’est-à-dire vers l’idée du lit, pour reprendre l’exemple de Platon.
L’idole possède son pouvoir et sa finalité en elle-même, elle est contemplée pour ce qu’elle est, parce qu’elle possède une sorte de pouvoir magique.
On pourrait donner deux exemples d’applications de la distinction icône / idole :
1. Religieuse : L’image-icône produit la vénération dans le sens où elle creuse la distance qui sépare le représentant du représenté/ il y a besoin de l’intellect pour saisir le rapport entre sensible et intelligible, entre le fini et l’infini. L’idole produit de l’adoration, c’est-à-dire que le spectateur ne distingue pas le représentant du représenté ; le support de l’image est divinisé, l’image met la divinité à notre portée. L’iconoclasme religieux que l’on trouve dans l’islam et le judaïsme a pour but de mettre fin aux idoles et non pas aux icônes. C’est un terme trompeur. Cependant l’idole a une proximité rassurante, elle permet encore une fois de mettre dieu à notre portée. Or l’image substitue le dieu, il y une perte de l’infini de la divinité. Le 3ème Commandement de la Bible interdit l’adoration et les copies-idoles. Le judaïsme les interdits aussi mais pas pour les mêmes raisons. Dans le christianisme, il y a un intermédiaire entre Dieu et les hommes, c’est Jésus. Dans le judaïsme, il n’y a pas d’intermédiaire, l’adoration est donc plus tentante. Dans l’icône, on renforce la présence et l’absence du dieu. Les images religieuses peuvent exprimer une présence matérielle tout en préservant l’absolue transcendance de dieu. Dans la parole de Dieu « faisons l’homme à notre image et selon notre ressemblance » (Genèse), il y a une ambiguïté et le même problème car Dieu n’a pas d’image mais fait l’homme à son image : l’homme n’est qu’une forme sensible, une image sensible de l’idée de Dieu ; mais on peut considérer que l’image de Dieu va se retrouver dans l’humain au travers de valeurs comme la raison et le libre-arbitre. L’esprit est donc hérité de Dieu mais pas le corps car Dieu n’a pas de corps, il n’est pas visible. Il y a une ressemblance (esprit) mais aussi une dissemblance (corps) pour éviter de confondre l’original et la copie. « L’art chrétien minutieuse déclinaison de la guenille a procédé par duplicata du grand format au plus petit » remarque R. Debray, dans Vie et mort de l’image. Dans l’icône, il n’y a pas d’identification possible de l’homme à Dieu. Le but recherché n’est pas la fusion totale entre l’homme et le Divin.
2.Technologiques ; Le culte de l’écran est-il une nouvelle culture de l’idolâtre ? aujourd’hui la valeur absolue est placée dans l’image elle-même, dans ses apparences et dans sa possession. R. Debray distingue trois périodes dans l’histoire de l’image : l’idolâtrie archaïque où c’est le regard magique qui confère une présence vivante aux objets, sensé incarné le spirituel, célébration des idoles dans la magie/le spirituel ; puis à partir de l’art chrétien, l’image devient une chose à travers laquelle nous visons une réalité transcendantale par un regard esthétisant, l’image est seulement créée pour incarner quelque chose d’autre qu’elle-même ; et enfin, entre 1960 et 1980, où la rupture technologique opère un culte de l’audiovisuel, la « vidéo-sphère » est la réactivation de l’idolâtrie archaïque. L’idole procure un pouvoir infini, elle fait descendre l’infini parmi les hommes afin de donner l’illusion d’être partout tout le temps.
Le fait qu’on se détache de la mort et de la religion a ainsi provoqué un double culte, celui des écrans et celui des musées. Nos idoles actuelles sont audiovisuelles. « Depuis que nous nous sommes annexés le monde – au point d’en fabriquer autant que nous voulons avec l’image de synthèse – nous voilà libérés des tâches de subsistance, prêts pour le narcissisme sans fin, des coups d’œil pour voir, pour rien » (R. Debray).
Ce qui provoque un relativisme de l’image : puisque les images se succèdent par strates, on peut finir par avoir l’impression qu’elles sont équivalentes les unes aux autres, on peut en arriver à un nivellement des valeurs de l’image. Par exemple, le zapping, vu d’un oeil critique, met en avant le fait que tout se côtoie, ce qui peut être dangereux puisqu’il apparait que toutes les images se valent, quelles qu’elles soient. Des images multipliées indéfiniment sur le même support ne permettent pas les variations qualitatives du jugement et risque de provoquer un nivellement par le bas. « Quand tout se voit, rien ne vaut » R. Debray.
Et mon blog dans tout ça ? Une image de plus, dans un flux incessant d’images, une adresse virtuelle consacrée à une icône de la philosophie, lequel se battait contre l’idôlatrie …