Voyage au pays des « ismes »
ATOMISME = née au Vème siècle av JC développée par Leucippe et Démocrite, cette « doctrine des chosettes » (Bachelard) avait pour fonction d’apaiser les tourments de la superstition et les angoisses liées à l’au-delà ; elle explique le monde par les atomes (êtres sans qualités sensibles que seul l’intellect peut concevoir) et du vide ; ces petites unités de matière insécables (a-tomos en grec) sont en nombre limité mais rendent possible un nombre illimité de combinaisons possibles ; par leurs mouvements rapides et leurs chocs mutuels elles forment des agrégats qui se différencient selon leur figure et leur position, comme les mots sont composés de lettres ; les Epicuriens ajouteront l’idée d’un clinamen, càd d’une déviation hasardeuse des atomes pour expliquer qu’ils se soient rencontrés, car au départ ils tombent en ligne droite comme la pluie ; tout en est composé, qu’il s’agisse de la nature inerte ou vivante, et tout est donc dépourvu de causes finales. Cela impliquera aussi l’idée d’une âme mortelle chez Epicure, la thèse selon laquelle « la mort n’est rien pour nous ». L’univers est donc uniquement composé d’atomes et de vide (monisme matérialiste). « L’univers est composé d’atomes et de vide. Tout le reste n’est qu’opinion » (Démocrite).
DETERMINISME = principe scientifique qui est au fondement des lois physiques et selon lequel tout effet ayant une cause (principe de causalité rationnelle) et les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’état d’une chose à un moment donné entraîne immanquablement la totalité de ses états futurs. Le déterminisme (de terminus en latin= la borne, la limite) établit la nécessité d’une relation entre deux phénomènes mais pas la nécessité de l’apparition du premier phénomène, qui peut être contingent ; telle cause étant donnée, tel effet s’en suit nécessairement, mais encore faut-il que cette cause soit donnée, dans les mêmes conditions, et que cet enchaînement ne soit pas contredit par une nouvelle expérience. Le déterminisme s’oppose donc à une causalité qui serait due au hasard (enchaînement aléatoire) ou à la liberté (où l’on s’autodétermine à agir). Néanmoins, s’il limite la liberté en l’obligeant à agir au sein d’un cadre restreint de possibles, il ne l’anéantit pas (de même que l’eau, selon Alain, n’empêche pas de nager ou le vent de faire avancer le voilier). Le déterminisme affirme donc une nécessité conditionnelle : pour telles conditions au départ, tel résultat est à l’arrivée ; ce qui est nécessaire est non le fait, mais la liaison entre les faits ; un petit changement peut intervenir et modifier le déroulement des opérations. « L’océan ne veut ni mal ni bien . La vague suit le vent et la lune, et si je tends une voile au vent, le voile la repousse selon l’angle . L’homme oriente sa voile , appuie sur le gouvernail, avançant contre le vent par la force même du vent ». Un système déterministe peut être imprévisible pour l’homme (théorie du chaos= la battement d’aile d’un papillon peut modifier le cours des événements, petites causes, grands effets) et un système imprévisible pour l’homme n’est donc pas forcément indéterminé en soi (absence de causes connues ne suffit pas à l’absence de causes réelles et d’enchaînements déterminés).
FATALISME (ou AQUOIBONISME ) = du latin « fatum »= destin, doctrine qui suppose que tous les événements sont inéluctables car prévus, écrits pas avance par une entité transcendante (providence = qui voit par avance en latin) ; provoque une attitude de résignation et de passivité. Il y a fatalisme lorsqu’on affirme une nécessité inconditionnelle : c’est là toute la distinction entre une prévision scientifique (qui intègre le hasard) et une prédiction (qui prétend que les efforts pour modifier le cours du temps seront inutiles comme dans la tragédie). Seul le fatalisme est incompatible avec la liberté humaine, pas le déterminisme : le premier fait de l’être humain un héros tragique, le second un être déterminé, qui conserve la liberté de donner tel ou tel sens (au sens de signification et d’orientation) aux tuiles qui lui tombent dessus …
FINALISME = doctrine privilégiant l’emploi des causes finales pour expliquer les phénomènes naturels ou humains, il présuppose la compréhension par une intentionnalité externe d’un lien invisible entre le moyen et le but, la forme et la fonction d’un organe par exemple (telle forme ou fonction étant visée, il faut mettre en œuvre tel moyen pour l’obtenir, ce qui ne pose pas de problème quand il s’agit de fabriquer des outils, mais plutôt quand il s’agit de fabriquer des organes, car cela traduit un intentionnalité) : « c’est l’intelligence qui saisit ou établit leur lien et leurs rapports càd la fonction » (Leçons sur les phénomènes de la vie, Claude Bernard, qui refuse pour cette raison d’utiliser le terme même de fonction car il suppose un fonctionnaire), ce qui le distingue du fatalisme pour lequel il n’y a rien à comprendre (de ce point de vue là les stoïciens sont déterministes et non fatalistes car pour un fataliste, rien ne dépend de nous, alors que pour un déterministe, il existe des choses qui dépendent de nous : la maitrise de soi, la force mentale…); il présuppose aussi la disposition, l’organisation de ce lien invisible par une intentionnalité externe, un sujet, un créateur : « La nature ne fait rien en vain » (Aristote) ; les vivants exécutent un plan préétabli par quelque chose ou quelqu’un au-dessus d’eux, ce qui le rapproche du fatalisme. Le physicisme et le mécanisme s’y opposent, tout comme le déterminisme, qui ne voient dans les phénomènes que des mécanismes aveugles ; la nature n’a aucune intention à notre égard ; au contraire, tout mode d’explication, qui montrera que le vivant transcende le simple mécanisme grâce à un principe vital, peut être dit finaliste (le vitalisme d’Aristote par ex). Mais la biologie contemporaine s’est réappropriée l’idée d’une finalité (caractère de ce qui est ordonné à la réalisation d’un but), naturelle, interne au vivant , résultat d’une évolution aléatoire, à travers la téléonomie (= activité orientée, cohérente et constructive) ou le projet que les êtres vivants représentent dans leurs structures et accomplissent par leur performance ; par ex la reproduction selon Monod. Le vivant ne tient donc son projet que de lui-même. On peut désormais dire que le vivant est programmé pour se reproduire sans pour autant croire que le nez est fait pour porter des lunettes ou que le melon est prédécoupé pour être savouré en famille (nombreuse) … cf la confusion finaliste entre la conséquence contingente et la finalité visée : ce n’est pas parce que quelque chose arrive après coup, que cela arrive à cause de …(contradiction du principe post hoc ergo propter hoc), distinction succession / causalité (je me penche par la fenêtre et hop (donc) une voiture passe… comme c’est étrange !) cf la superstition comme mauvais usage de la causalité.
MECANISME = (du grec mechane= machine)= mouvement philosophique et scientifique développé au 17ème siècle (Galilée, Descartes, Hobbes) selon lequel la nature et le vivant doivent être réduits à de la matière en mouvement, dont il suffit d’étudier les propriétés mécaniques, l’agencement des parties (plus tard on dira= physico-chimiques et cela deviendra le mécanicisme) ; il n’y a ni intention cachée ni principe de vie. Chez Descartes, c’est plus la théorie de l’embryologie comme développement automatique d’un germe contenant en puissance tout ce qui doit se développer chez l’individu qui est purement mécaniste.
MACHINISME = analogie du vivant avec la machine, ce qui présuppose un machiniste ( un deus ex machina) puisque la machine est donnée comme telle, déjà constituée ; on n’envisage pas la construction de la machine, elle est déjà construite, ce qui suppose un constructeur : en ce sens, le machinisme a implicitement recours à l’idée anthropomorphique de finalité car sa causalité est externe. La théorie de l’animal-machine chez Descartes est une conception « machinique » plus que mécaniste car l’animal est une création divine où les organes sont faits pour exercer une fonction. Par extension, au 19ème, théorie de la mécanisation des gestes visant à supprimer les mouvements inutiles dans le travail à la chaîne (fordisme, taylorisme).
MATERIALISME = théorie selon laquelle la matière est la seule réalité existante (atomisme), l’esprit ne serait donc qu’un effet de la matière du corps (cerveau) ou une illusion ( je suis donc en train de rêver que j’écris, cf le cours sur « la vie est-elle un songe ? »); la matière est la réalité fondamentale à partie de laquelle s’explique la vie spirituelle (Marx, Freud), opposé à spiritualisme ; il y a donc un réductionnisme de l’esprit à la matière, on rend compte du foisonnement des formes vivantes à partir d’une seule substance ; au mieux la vie apparaît comme un palier de complexification de la matière (mais dans ce cas, si la matière se divise et s’affine au point de devenir si subtile qu’elle donne naissance à l’esprit, peut-on encore parler de matière ??) ; le matérialisme moderne est donc né du mécanisme cartésien, qui prétend étudier le corps comme une machine à part, sans supposer de supplément d’âme. Cf les idées transcendantales et le problème métaphysique de la nature de l’âme chez Kant / si l’esprit est matière, dans ce cas, mes idées prennent-elles le train avec moi (faux problème de la localisation de l’âme par Wittgenstein) et pourquoi se fait-il que j’ai conscience de moi, et pas mes pieds ni mes neurones d’eux-mêmes (où commence et où se termine cette hallucination de soi-même qu’est la conscience réflexive ?) Par extension, sens péjoratif, doctrine consistant à s’attacher uniquement aux biens matériels (richesse, etc), absence d’idéal (opposé à idéalisme).
SPIRITUALISME= La réalité essentielle et ultime se trouve dans l’esprit ou la conscience de soi ; position qui s’accorde avec la tradition judéo-chrétienne pour dire que « c’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien » …
ORGANICISME = théorie postulant que l’on doit étudier les corps comme des totalités organiques tout en dépassant le clivage entre finalisme et mécanisme : les rejeter tout en les maintenant, càd considérer le corps à la fois comme une machine (re)montée, organisée, que l’on peut démonter (car organon= outil en grec), mais aussi rendre compte de l’unité fonctionnelle d’un système de parties intégrantes (Renan, Kant dans la CFJ = finalité interne à l’organisme, « énergie formatrice »).
ANIMISME= soit c’est un cas particulier du vitalisme associé à la doctrine de Stahl (l’âme est le principe de vie) ; soit c’est l’hypothèse primitive selon laquelle il existerait une certaine subjectivité dans la nature, tout y serait animé ; enfin pour Monod, ironiquement, l’animisme désigne toute théorie pour qui l’évolution, processus orienté, devait aboutir à l’homme (énergie ascendante et point oméga de Teilhard de Chardin).
VITALISME= Doctrine selon laquelle un principe vital propre au vivant régit les phénomènes de la vie, une force unique dont toutes les fonctions vitales sont des modes (Stahl, Bichat, Bergson); on opère donc une distinction radicale entre le vivant et l’inanimé, en accordant une autonomie au vivant, qui est irréductible aux éléments matériels. On fait de la vie un état plutôt qu’un processus, et cela n’implique pas de finalisme, l’élan vital ne pouvant être enfermé dans un quelconque projet. Les différentes sortes de vitalisme vont donc du simple constat que les lois de la vie sont irréductibles aux lois de la physique (la biologie irréductible à la chimie) jusqu’à supposer un principe spécifique qui permet d’en rendre compte.
HYLOZOISME= la vie et la sensibilité sont inhérentes à la matière quelle que soit sa forme (de hyle = bois /matière en grec)
HASARD(ISME ?) = de l’arabe « az-zahr »= jeu de dés = concours de circonstance imprévisible et surprenant, rencontre imprévisible de deux séries causales. Monod distingue le hasard absolu et essentiel / ignorance face à l’inexplicable : origine de la vie, sélection naturelle, mutations aléatoires ; et le hasard opérationnel / hasard relatif et apparent = ignorance des causes car infiniment petit ou manque de connaissances actuelles, l’inexpliqué. Depuis la physique quantique, on admet aussi un indéterminisme de la matière au niveau du comportement des particules. Physiciens et biologistes contemporains se rallient à l’idée de « déterminisme approché » qui intègre tous les éléments d’incertitudes liés à la complexité et à l’infinité des causes impliquées.