Rencontre avec Wols
C’est encore à Paris, en 1945, que Sartre rencontre Wols, un peintre d’origine allemande, avec lequel il va tisser des liens très forts, au point de lui apporter son aide et de lui louer une chambre à l’année à l’hôtel des Saints-Pères dans le quartier de Saint-Germain[1]. Son œuvre est qualifiée de « peinture existentielle » avant même sa rencontre avec Sartre ; Wols est obsédé par la mort, mais aussi fasciné par la proximité nauséeuse des choses ; son alcoolisme parle, à sa manière, de son désir d’autodestruction, d’un comportement sacrificiel, témoignant du caractère inséparable de la vie vécue et de l’œuvre réalisée : « Wols était un homme buvant et qui peignait ayant bu : il ne le disait pas clairement, mais on pouvait l’apprendre là »[2]. Sartre s’inspire de sa poésie et de ses aphorismes pour mieux comprendre sa démarche personnelle. Comme pour attester de l’alliance possible entre peinture et écriture, les premières publications de l’article « Visages » ou de la nouvelle intitulée « Nourritures » seront accompagnées de pointes sèches réalisées par Wols. Le texte, rédigé en 1963 sous le titre énigmatique de « Doigts et non-doigts », est un hommage posthume paru dans un recueil collectif aux éditions Delpire, intitulé Wols en personne, longtemps après le décès du peintre (disparu en septembre 1951, suite, semble-t-il, à un empoisonnement alimentaire). Sartre y revient sur ses relations personnelles à Wols et sur la fascination de celui-ci pour la corruption des choses et de l’univers, dressant une comparaison avec la peinture cosmique de Klee.
[1] « Quelqu’un que je croisais souvent à Saint-Germain-des-Prés, c’était le peintre Wols, témoigne Simone de Beauvoir. Il avait illustré un texte de Sartre, Visages ; Paulhan lui achetait de temps en temps un dessin, une aquarelle ; nous aimions beaucoup ce qu’il faisait. Allemand exilé depuis longtemps en France, il buvait un litre de marc par jour et paraissait âgé, malgré ses trente-six ans, ses cheveux blonds, son teint rose ; ses yeux étaient ensanglantés et je ne crois pas l’avoir jamais vu à jeun. Quelques amis l’aidaient ; Sartre lui louait une chambre à l’hôtel des Saints-Pères ; le patron se plaignait qu’on le trouvât couché la nuit en travers des couloirs et qu’il hébergeât des amis à cinq heures du matin » FA p. 325.
[2] « Penser l’art », ES p. 234-235. Cf Ill. 67.