La Crucifixion
C’est le poids de son propre corps que nous fait sentir le Tintoret : le poids du corps de l’artiste-artisan. Le peintre est avant tout un corps au travail, qui « donne » de lui-même : « il monte sur des échelles plus souvent qu’il n’est à son chevalet, il se plie en deux, se tient sur une jambe, se renverse en arrière pour atteindre le plafond, promène son pinceau sur des surfaces qui, à la fin du mois, se comptent en kilomètres carrés ». L’homme de petite taille qui, dans un geste rageur et conjuratoire, couvre de toiles tous les murs de Venise, et plus particulièrement ceux de la Scuola Grande di San Rocco, cette « Chapelle Sixtine » à laquelle il travaille pendant près de vingt-cinq ans et donne quarante-six œuvres, réalisera également « Le Paradis », connu pour être le plus grand tableau du monde, avec ses trente-quatre mètres de long. Ainsi, « quelle que soit la figure inventée, c’est le Tintoret lui-même qui s’y modèle dans sa solitude terrestre, c’est son propre corps qu’il tire du limon ». Il nous communique la douleur d’avoir un corps jusque dans les torsions qu’il nous contraint à accomplir pour contempler les toiles du plafond de la Sala Grande