Le souci heideggerien

Le souci heideggerien heidegger

L’homme est cet « être des lointains » (Heidegger) qui n’est jamais vraiment contemporain de lui-même, il est toujours trop tard ou trop tôt pour agir : « Dasein hat sein Sein zu sein ». C’est ce que Heidegger nommera le « souci » : ce qui pourrait se résumer dans la formule « être en avant de soi dans l’être déjà dans un monde comme être auprès » (ET&41 : « Sich vorweg im schon sein in einer Welt  ») : l’être en avant de soi est la projection vers des possibles, le dasein est non coïncidence, toujours en charge de lui-même, la flèche de la futurition, car ex-ister (ex-sistere) c’est avoir son assise hors de soi, être toujours en déséquilibre comme « l’homme qui chavire » de Giacometti. Analysons l’expression : l’être deja dans un monde indique que le monde est le lieu congénital de l’existant, qui est toujours dejà en situation, il se projette dans un monde deja la et lui donne ainsi un sens ; l’être auprès ou échéance est l’attitude qui consiste à s’affairer, à tomber dans le monde, à s’identifier dans son monde et oublier la tension qui le constitue ; ce sera donc comme le point d’ancrage ou d’aterrissage du Dasein ; le résultat du jet en avant peut donc tout autant être authentique qu’inauthentique …

Comme nous sommes entourés d’objets qui en appelent à notre savoir faire, comme nous sommes sans cesse appellé à faire quelque chose en nous servant des jalons posés sur notre parcours, nous oublions l’angoisse en moyennnisant ces taches, car l’angoisse est visée d’un objet comme fin en soi, alors que le projet ou le divertissement ont ceci de commun qu’il nous arrachent à l’être là. Cette formule contient donc tout le roman de l’existence, avec ses postures et ses étapes successives : le souci de soi en est l’intrigue principale.

C’est la configuration de ces 3 moments qui  crée le souci : « se faire du souci », c’est exprimer l’essence de toute l’existence, car à la fois il y a un désir de dépassement de soi (je veux réussir quelque chose que je ne suis pas ou que je n’ai pas encore) ; il y a un monde avec lequel il faut composer (les lois, les obstacles, les personnes, les conditions nécessaires à la réalisation de mon projet) ; et enfin, je suis « dans » mes soucis, donc je m’identifie à eux et je m’oublie deja un peu en eux.

Ces trois moments forment une petite histoire et d’une certaine manière nous ne cessons jamais de revivre ce même scénario : 1) désir et suspense ; 2) retombée dans le monde et le principe de réalité confronté à notre principe de plaisir ; 3) on finit par avoir « des soucis » motivés, et l’on ne s’angoisse plus vraiment de façon immotivée, puisqu’on est plongé dedans, les soucis au pluriel sont à la surface de l’objectivité. Même si l’arrière souci peut être angoissant (par ex la perspective de la mort derrière le souci de la maladie), il semble que les soucis soient l’antidote à l’angoisse ; ce sont des pré-occupations qui anticipent dejà sur les occupations de demain. Telle est donc la trilogie du souci de soi sans cesse renouvellée : le désir, le réel, les soucis.

Ainsi, toute conscience, en tant qu’elle est temporelle et intentionnelle, est inquiète car tendue vers ce qui n’est pas encore, vers cet autre soi-même qu’elle n’est jamais certaine de réaliser. « En avant de moi-même, il n’y aura jamais rien que moi-même » (Sartre). Nous sommes toujours impliqués dans un certain affairement de nous-mêmes : il y a d’ailleurs un lien entre l’être au monde et l’être dans le temps pour Heidegger : c’est précisément parce que nous sommes projetés dans le temps que nous sommes projetés dans le monde ; c’est la projection dans le futur qui ouvre un espace et un monde, de la même manière que habiter quelque part, c’est construire un espace objectif à partir de mes intentions subjectives, selon que nous situons les objets comme proches ou lointains, selon nos activités, ce sont mes mouvements intentionnels et corporels qui ouvrent un espace objectif dont mon corps demeure l’épicentre.

 

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