Le paradoxe du chercheur

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Il y a un paradoxe inhérent à toute création et à toute recherche, qui est de ne pas vraiment savoir ce que l’on cherche (sans quoi nous n’aurions pas à le chercher) mais aussi tout de même d’avoir une petite idée de ce que l’on cherche (sans quoi nous ne saurions pas dans quelle direction aller). Or cette présence-absence de la vérité à l’esprit du créateur ou du chercheur, selon le sophiste Ménon, dans le texte éponyme de Platon, peut conduire à deux conclusions radicalement opposées, selon qu’on est relativiste ou platonicien. Reprenons le texte à la source : Ménon et Socrate recherchent précisément une définition de la vertu sur laquelle s’accorder ; et comme d’habitude, la recherche échoue car Ménon ne propose que des catalogues de cas, sans unifier ces exemples sous une seule et même définition ontologique. A ce moment précis, Ménon, troublé et/ou vexé, reproche à Socrate de l’avoir ensorcellé et d’être semblable, tant au niveau physique que psychologique,  à une « large torpille marine qui, comme on sait, vous plonge dans la torpeur aussitôt qu’on en approche  » (80a). Il refuse alors de continuer la discussion en prétendant que cela n’en vaut pas la peine, àquoibonisme qu’il justifie ainsi : « Et comment chercheras-tu ce dont tu ne sais absolument pas ce que c’est ?  » puis derechef « tomberais-tu dessus, comment saurais-tu que c’est ce que tu ne savais pas ? » . Ce n’est même pas la peine de se mettre en route …

Socrate, qui reprend à son compte ce paradoxe tout en en rejetant les conséquences, le reformule à sa manière : «  soi-disant il est impossible à un homme de chercher, ni ce qu’il sait, ni ce qu’il ne sait pas ? Ni, d’une part, ce qu’il sait, il ne le chercherait en effet, car il le sait, et en pareil cas il n’a pas du tout besoin de le chercher ; ni d’autre part ce qu’il ne sait pas car il ne sait pas davantage ce qu’il devra chercher » . Pour autant sa réponse n’est pas très satisfaisante d’un point de vue rationnel : il se base alors sur la théorie de la réincarnation (la métempsychose réhabilitée par Pythagore) et de la réminiscence (les âmes immortelles se souviennent des idées entrevues lors de leurs vies antérieures) pour justifier la présence-absence des idées vraies à notre esprit : présente dans notre mémoire inconsciente (ce qui justifierait de savoir un peu ce que l’on cherche), la vérité ne serait pas pour autant assez lisible ni assez explicite pour que nous soyons capables de la découvrir au premier coup d’oeil (ce qui justifierait d’avoir à la chercher, ou plutôt à la retrouver). Et de conclure : « En tant que tout sans exception a été appris par l’âme, rien n’empêche que, nous ressouvenant d’une seule chose, ce que précisément nous appelons apprendre, nous retrouvions ainsi tout le reste, à condition d’être vaillants et de ne pas nous décourager dans la recherche : c’est que, en fin de compte, chercher et apprendre sont, en leur entier , une remémoration » .

Ce texte pose donc leux problèmes redoutables : d’une part, celui de l’actualisation de certains textes philosophiques (il faudrait alors reformuler la croyance socratique en termes plus raisonnés : apprendre c’est se resouvenir de ce que nous savions déjà sans le savoir, grâce au bon sens qui, comme le soulignera Descartes, « est la chose du monde la mieux partagée » , mais la moins bien pratiquée) ; d’autre part, celui de l’inspiration de l’artiste et du chercheur : comment nous vient la fulgurante intuition de la vérité ? Vérité révélée par la foi dirait Pascal : mais la machine à calculer n’est pas une machine à faire de dieux … Vérité inscrite au fin fond de l’inconscient, dirait Freud : mais la recherche scientifique, contrairement à la création artistique, ne tient pas vraiment du trouble compulsif …

Le chercheur cherche parce qu’il sait et ne sait pas tout à la fois : il n’en sait pas assez pour ne pas chercher mais en sait assez pour se mettre en route. Il faudrait alors apprendre au chercheur à chercher, lui demander, avant de se mettre en route, de se demander, avec Socrate : 1) comment savoir ce que l’on doit chercher si nous l’ignorons et par où commencer ? 2) si nous découvrons la vérité, comment la reconnaître puisqu’on ne sait pas à quoi elle ressemble ? La réponse est peut-être dans la formule : petites causes, grands effets, tant, parfois, les grandes découvertes tiennent à un fil, ou plutôt à la convergence entre une petit détail et une grande idée.

Ecouter à ce propos la chronique d’Etienne Klein consacrée à cette question : d’où viennent les idées scientifiques ?

http://www.franceculture.fr/emission-le-monde-selon-etienne-klein

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