Vers l’infini, et au-delà …
Peut-on sortir de l’univers ?
Si l’on devait seulement définir l’infini, même avec un entendement fini et limité comme le nôtre, cela ne poserait aucun problème: c’est ce qui n’a ni commencement ni fin. Voilà qui est dit. On pourrait s’arrêter là, chacun rentrer chez soi. Pyjama-dent et au lit …!
Mais avec une imagination comme la nôtre, la tentation est grande de continuer à penser et d’essayer de se le représenter : c’est là que le bât blesse, l’imagination venant définitivement stopper le narcissisme de l’entendement qui croyait avoir tout compris… Il y a de quoi s’arrêter définitivement de dormir, dès fois que l’infini vienne nous reprendre et nous emporter pendant notre sommeil. Qu’est-ce qui se passe en effet si je tente d‘imaginer l’infini du fin fond de mon coin du monde ?
J’additionne, je collectionne, je positionne des galaxies à côté des galaxies, des mondes par-dessus les mondes, et cela jusqu’à épuisement et endormissement (peut être mieux encore que les moutons, compter les galaxies remplace n’importe quel somnifère, pourvu qu’on accepte d’échouer et de s’arrêter en cours de route, car sinon c’est l’insomnie garantie). Bref je ne fais qu’additionner du fini à du fini : là où mon entendement concevait l’infini, mon imagination ne peut se représenter que de l’indéfini = du fini + du fini + du fini … l’infini venant se loger dans ces trois points de suspension que je ne saurais traduire … Ce que ma pensée pensait comprendre (au sens de saisir intellectuellement), mon imagination ne peut le comprendre (au sens visuel ou spatial). Cf Pascal : » par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends » .
Comme l’avait déjà expliqué Kant dans les antinomies de la raison pure, la question de l’infinité est indécidable car elle ne correspond à aucune expérience possible : soit l’espace/ le temps est limité, mais une limite étant forcément frontière avec autre chose, si je tend le bras au-delà de cette limite, qu’est-ce que je touche ? ou la régression des causes à l’infini ou le vide de la création ex nihilo…
A partir de là, il n’y a pas grand’chose à rajouter, si ce n’est que :
* les mathématiques pensent plutôt que l’infini existe en droit (en pensée) tandis que la physique stoppe de fait (dans l’expérience) l’hémorragie de l’infini par la finitude indéfinie des particules : normal que cela provoque parfois un dialogue de sourds …! Pour l’un, Achille (qui n’est pas un lièvre, faut-il le rappeler) ne rattrapera jamais la tortue, puisque la distance qui les sépare est en droit divisible à l’infini, et la division mathématique rendrait le mouvement impossible ; pour l’autre, le mouvement se constate de fait : il suffit que je me lève pour le prouver ; et l’on ne peut connaître que ce que l’on peut mesurer, donc du fini, même s’il semble infiniment petit … En cela, parler d’infiniment petit en physique est une erreur, ou du moins un anthropomorphisme, car cela semble infiniment petit à l’égard de l’échelle humaine ou de l’univers mais c’est juste petit, pas infini. Il faudrait plutôt parler d’ « indéfiniment petit« .
* chacun choisira, face à cette impuissance tragique de l’imaginaire, d’adopter la posture rationnelle qui lui convient le mieux ; il faut choisir grosso modo entre Pascal, Kant et Einstein :
- affronter l’angoisse métaphysique, qui est l’ombre portée de l’infinitisme physique sur nos existences : l’infini permettra au moins de prendre conscience de notre contingence existentielle ; Pascal encore : » le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie « . Mais encore faut-il assumer de gâcher la nuit des étoiles organisée par l’association du coin et de plomber l’ambiance par des considérations aussi pessimistes…
- transformer l’angoisse métaphysique de l’infini en sublime esthétique et en impératif moral : Kant cette fois, qui fit graver sur sa tombe la dernière partie de cette phrase : » deux choses remplissent l’esprit humain d’admiration et de craintes incessantes : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi « . Mais là encore il faut assumer de pouvoir se comparer à un idéal régulateur aussi élevé pour agir conformément au devoir, bref devenir protestant…
- mesurer, quantifier etc pour réduire l’inconnu à du connu, l’infini à du fini ; Einstein : « il est plus facile de désagréger un atome qu’un préjugé « . Là, il faut être capable d’esprit méthodique, avoir la patience in(dé)finie de mettre en place pendant des mois, voire des années des protocoles d’expérimentations scientifiques qui dureront à peine 5,39121 x 10-44 secondes …! Frustrant …
Après cela , il est toujours possible, et beaucoup plus reposant, de croire en Dieu (on ne demandera jamais « qui a causé Dieu ? » et pour cause), mais cela revient à résoudre l’infini par l’infini et à remplacer l’irreprésentable de l’univers par l’Irreprésentable d’un être infini… On tourne en rond.
Autant dire que lorsque les physiciens auront déterminé l’origine et/ou la fin de l’univers, ils seront devenus des méga-physiciens, ou plutôt des méta-physiciens.