Le langage des mains, par Anne-Sophie Reineke

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L’attente, par M.F. Bernot

Donne-moi tes mains que mon coeur s’y forme
S’y taise le monde au moins un moment
Donne-moi tes mains que mon âme y dorme
Que mon âme y dorme éternellement.

                        (Aragon, Les mains d’Elsa)

         Les voix se sont tues, et avec elles le tumulte des mots superflus. Car dans l’empreinte laissée par le verbe assoupi, un autre langage vient naître à la vue : le parler muet des mains caressantes, poignantes ou suppliantes, le discours silencieux des mains qui s’enlacent et s’élancent. La peinture de Marie-France Bernot n’a rien à décrire, rien à narrer, elle sonne plutôt ici comme une ultime injonction : regardez ce que les mains ont à dire !

         Les mains nous murmurent tout d’abord la faiblesse et la force, la solitude sans fond des corps esclaves de leur contours charnels, contre lesquels vient buter, sans bruit, le désir d’autre chose. Rompre, une fois seulement, l’enfermement en soi, le vide sans écho, exulter et implorer la délivrance ! Telle est la parole inaudible du corps souffrant et étouffant de n’être que lui-même. Pourtant, n’est-ce pas cette main-là qui, parfois, laisse s’ouvrir et surgir un monde palpable ? Puissance de révélation, oui, c’est bien elle qui offre à la chair prisonnière  le don de toucher et d’être touchée. Si naturelle et humaine à la fois, la main détient en effet le pouvoir de dévoiler ce qui jusque là se tenait en retrait, obscurci ou opaque. Rien n’existe avant elle, pas même l’espace, qu’elle engendre, à chaque instant, par son propre mouvement. Au coeur de la main une âme palpite, qui donne sens et pourtour à tout ce  qui est. Grâce à elle adviennent la rugosité, la douceur, grâce à elle les corps enchaînés se délivrent de leur pesante présence pour s’étreindre et se comprendre.

         Les mains sont de bien touchantes messagères. Qu’en elles se devinent de profonds sillons ou de tendres courbes, qu’elles soient mains de mendiant ou mains de souverain, elles partagent un même destin et nous rappellent, en leur nudité crue, l’universelle finitude et la fugacité des instants vécus. Fragiles incarnations, elles nous parlent d’amour et de pardon, estompent les vestiges de l’individualité et nous ramènent vers une humanité paisible, réconciliée. Car les mains, plus que toute autre partie du corps,  s’exposent : en se donnant à voir et à saisir, elles se montrent et se mettent en danger à la fois. Leur force, elles la puisent au creux de la caresse, quand la lutte fait place à l’abandon et que, le temps d’un frôlement, elles consentent au contact, sans crainte de se perdre.

         Marie-France Bernot peint l’âme de la chair, elle en suit les marques et les douleurs, l’innocence et les plaisirs. Paume contre paume, peau contre peau s’invente ici un dialogue entre les corps, un passage sinueux entre l’homme et le monde. Ce dialogue est celui de la grâce, surcroît de puissance, surabondance qui n’attend rien en retour.

Anne-Sophie Reineke (octobre 2010)

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