Grâce et pesanteur, par Anne-Sophie Reineke
Les pierres sont des âmes silencieuses. Barbiero le sait bien, lui qui cherche sans relâche à en rompre le mutisme. Trop longtemps prisonnières de leur corps minéral, condamnées à une interminable immobilité, elles se tiennent figées, encore toutes engourdies. Elles reposent en leur tombeau de cendre, d’humus et de poussière. Elles attendent, masses sombres à la merci des étreintes terrestres et de la redoutable et redoutée finitude. Les pierres se sont tues.
Alors le peintre, en un langage gris, brun et bleuté, relate. Il se fait interprète. Il nous conte d’abord la conspiration de la matière inerte, celle qui réprime toute aspiration à l’élévation et fait taire les désirs, les possibles. Lentement, elle façonne des corps-prisons où viennent s’éteindre la vie et le mouvement. Ensevelie sous la terre glacée, la roche se meurt.
Et pourtant, n’est-ce pas une respiration, qui soudain semble s’élever de la froide immobilité ? Quelque chose palpite, c’est certain. Un reste de vie souterraine. Peut-être un appel à la grâce ? Un presque rien qui émerge de la solitude horizontale.
Peut alors venir le temps du combat vertical. La grâce contre la pesanteur, le sacré contre le profane. La main pressent et suit le pouvoir de la pierre à déjouer les lois de la nature et à s’élever, bien au-delà d’elle-même, vers un lieu incertain. Oui, cela apparaît désormais, les pierres cherchent à quitter l’ancienne demeure et à prendre leur envol.
Peintre des contraires, Barbiero rend alors visibles ces forces combattantes et ces luttes intestines : de la pesanteur ou de la grâce, qui va gagner ? Bien sûr, la guerre semble perdue d’avance. Qui peut croire en la prétention de la roche pesante à s’évader d’elle-même pour rejoindre un univers éthéré ? Dans cette joute acharnée, il en va pourtant du sort du monde. Ce qui se donne à voir ici est davantage qu’un simple et vain jeu : c’est le pouvoir du sensible à se défaire des apparences et de ses lois.
Contre toute attente, la légèreté gagne sur la pesanteur. Les corps de pierre deviennent corps de lumière. La masse, transfigurée, tend à rejoindre le ciel. Ou bien est-ce le ciel qui descend jusqu’à elle, s’étire et s’étend pour la frôler et, dans un souffle caressant, l’attirer à lui ? C’est comme une aile qui soudain s’abat sur la surface, la polit et la sculpte en de douces et sobres sphères. La lumière a acquis ici la puissance de mouvoir. Elle donne forme également, et n’en fait qu’à sa tête.
Barbiero met ainsi le monde au pas, à son pas, qui n’est ni plus ni moins que celui de la nature poétisée, réussissant enfin à se libérer du joug de l’inertie. Il y a chez ce peintre un parti pris des choses, un parti pris de la matière inorganique qui, tout autant que le reste, aspire à être autre qu’elle-même et à vivre, simplement.
Contre le poids des choses, contre le chaos : le destin caché de la matière, celui de la pureté ayant à ressusciter sans cesse.
Anne-Sophie REINEKE, janvier 2009