La nostalgie n’est plus ce qu’elle était ?
La nostalgie, pathologie du temps passé (nostos= retour, algos = douleur) est une inflammation du temps passé auquel il est impossible de retourner ; la nostalgie est donc la conséquence pathologique de l’irréversibilité du temps, de la nécessité a posteriori du passé, elle-même provoquée par la succession d’instants hétérogènes qui ne sont jamais les mêmes. C’est un désir de retour au même, à la fois provoqué et rendu impossible par l’altérité du temps. C’est la semelfactivité du temps (le fait que chaque chose ne se produit qu’une seule fois) qui accentue la nostalgie du passé et notamment de la première fois. En ce sens, le héros nostalgique par excellence est Ulysse, lui qui ne rêve que de retourner d’où il vient, Ithaque, retrouver Pénélope : c’est un faux aventurier dont les seules tentations sont statiques (rester quelque part) … CF Jankelevitch « L’irréversible et la nostalgie » : La nostalgie n’est pas le simple regret d’avoir été ceci ou cela, mais le regret d’avoir été ce qui ne sera jamais plus, son objet est la passéité ; elle témoigne de la misère de l’irréversible : c’est pourquoi le retour au pays natal ne suffit pas (l’espace lui est réversible mais pas le temps), il faudrait un retour dans le temps d’où un désir impossible à satisfaire. « Il y a nostalgie lorsque c’est le regret lui-même qui rend le regretté regrettable (p 353) … la nostalgie tient tout entière dans l’amertume du fait d’avoir été (p 357) ». C’est pourquoi le nostalgique a une double vie : comme tout exilé, citoyen d’une ville ou d’une république invisible, il est en même temps ici et là-bas, présent et absent, quand il est présent ici par le corps, il se sent absent par l’esprit, et inversement : « l’exilé a ainsi une double vie et sa deuxième vie, qui fut un jour la première, et qui peut être le redeviendra un jour, est comme inscrite en surimpression sur la grosse vie banale et tumultueuse de l’action quotidienne » (p 346). A cet égard, nous sommes tous les exilés de notre propre enfance, car toute nostalgie est nostalgie de ce qui n’est plus et ne sera plus jamais. Ainsi, plutôt que de dire « la nostalgie n’est plus ce qu’elle était », il faudrait dire « la nostalgie est née de ce qu’elle n’est plus ».
Michel Serres pose une question à Vladimir Jankelevitch sur la philosophie comme « presque rien » :